Mumbai, 25 janvier 2016
Honorable Gouverneur
Honorables Délégués
Amis des courses
Au cours du 19ème siècle, les chevaux de mon arrière-arrière-arrière-grand-père participaient à des courses à travers toute l’Inde indivisée. Il les avait amenés depuis la Perse, où sa famille élevait des chevaux depuis de nombreuses générations.
A la fin du 19ème siècle se trouvaient parmi ces chevaux Shere Ali, gagnant du Derby Arabe en 1869, Khusroo, vainqueur du Winner’s Handicap en 1870 et Maharaj, qui gagna de nombreuses courses, dont la Governor’s Cup et le Derby en 1872.
Au cours du 20ème siècle, mon grand-père et mon arrière-grand-père eurent eux aussi des chevaux de courses en Inde et remportèrent des courses telles que les Oaks Indiennes avec Ferial en 1945, quatre Viceroy’s Cup entre 1928 et 1940, sept Eclipse Stakes d’Inde entre 1926 et 1956… et en 1922, mon arrière-grand-père acheta ses juments fondatrices avec le Colonel Hall à Newmarket. Parmi ces chevaux se trouvait Mumtaz Mahal, la « pouliche volante », et son sang coule encore dans les veines de nos familles aujourd’hui, et de juments telles que Zafayra et To The Manor Born, qui font partie du Studbook Indien.
Mon père, Son Altesse l’Aga Khan, a maintenu cette tradition familiale pendant 55 ans, remportant un total de 15 Derbies, 13 Guinées, 7 Prix de Diane, 4 Prix de l’Arc de Triomphe – mais pas les Oaks Indiennes… à ce jour !
Comment ces familles ont-elles survécu et se sont-elles développées à travers 250 ans et six générations de la famille Aga Khan ?
Au-delà des facteurs habituels auxquels les éleveurs prêtent attention tels que la conformation, l’aptitude aux distances, le tempérament, les fragilités physiques, etc., nous avons une politique explicite de maintenir une diversité génétique au sein de notre jumenterie. Nous essayons constamment de nouveaux croisements et de nouvelles lignées d’étalons, afin de préserver nos familles et de réveiller celles qui sont dormantes.
Prenez par exemple le nombre d’années qui séparent la dernière victoire de Groupe 1 de Petite Etoile dans les Coronation Stakes, en 1961, et le Groupe 1 suivant remporté par une pouliche de cette famille, Zainta, dans le Prix Saint Alary, en 1998 : il a fallu 37 années pour raviver cette branche de la famille de Mumtaz Mahal, mais une fois ravivée, elle nous a donné Zarkava, probablement la meilleure pouliche jamais élevée sous l’égide de mon père.
C’est grâce à la persévérance de mon père, mais peut-être aussi grâce à une variable que nous considérons le moins lorsque nous réalisons nos croisements : le coût. Je ne veux pas dire que nous allons aux étalons les plus chers et ne tenons pas compte des dépenses – bien au contraire. Vous verrez souvent de bonnes juments Aga Khan aller à des étalons qui ne sont pas à la mode et peu chers, et vous vous demanderez peut-être… pourquoi ?
L’une des raisons à cela est que nous conduisons notre élevage comme une entreprise, avec de solides principes et prudence financière, une quête constante de l’excellence et un respect des bonnes pratiques – mais aussi, et peut être est-ce le plus important, nous considérons le pedigree en premier, et le marché en dernier.
Nous sommes très chanceux de pouvoir effectuer nos choix de croisement en nous basant uniquement sur « l’adéquation » entre une jument et un étalon, et non en nous basant sur la valeur de vente d’un yearling ou d’un foal. En tant qu’éleveur traditionnel, nous avons le luxe de pouvoir protéger nos familles en nous assurant de faire de notre mieux chaque année pour trouver le meilleur étalon pour chaque jument, indépendamment de l’attrait commercial. Bien sûr, il nous est nécessaire de vendre des chevaux chaque année pour garder des nombres gérables, mais cela n’est pas déterminé par un impératif financier. En résumé, nous ne suivons pas la mode : nous pouvons décider si nous pensons qu’un cheval fera un bon croisement avec l’une de nos familles.
Le prix de saillie d’un étalon était habituellement dicté par les résultats de ses produits aux courses, mais il est de plus en plus déterminé par la mode. Un étalon de première saison non prouvé peut avoir un prix de saillie sans rapport avec sa capacité à transmettre de la vitesse, de la force ou de l’os, ou même la viabilité de ses gênes en tant que pur-sang. En revanche, les étalons sont jugés en l’espace de quelques années seulement et envoyés vers des destinations exotiques en cas de manquements mineurs dans leurs deux premières générations. Cela est regrettable, car nous nous apercevons parfois trop tard que tel ou tel cheval aurait fait un bon étalon ou un bon père de mères.
Comment pouvons-nous assurer le futur de la race si chaque année des centaines de juments sont croisées avec des étalons de première production qui ne sont absolument pas prouvés et ont statistiquement de grandes chances d’échouer ? Qu’advient-il des centaines de foals qui ne deviendront jamais de bons chevaux de courses ? Comment pouvons-nous préserver la diversité génétique de la race et éviter les modes qui se concentrent uniquement sur la vitesse et la précocité d’une lignée d’étalons, aux dépens d’autres lignées d’étalons qui pourraient finalement produire les grands champions du futur ? Comment pouvons-nous maintenir et améliorer le capital génétique du pur-sang et accroître son patrimoine génétique, plutôt que de le réduire pour des objectifs commerciaux à court-terme ?
La réponse est peut-être une question de cycles. « L’industrie du cheval » était bien plus patiente par le passé, permettant d’attendre plusieurs années avant qu’une jument ou un étalon ne soit mis sur un piédestal, ou jeté aux oubliettes. Aujourd’hui, éleveurs et propriétaires attendent un retour sur investissement rapide, mais franchement, l’élevage ne peut être précipité. La nature prévaut, et toutes les modes du monde ne feront pas d’un étalon un succès grâce à un catalogue de ventes. L’évaluation de la réussite devrait se fonder sur les résultats accomplis sur les grands champs de courses de ce monde, et non sur les rings de vente.
Dans les siècles à venir, le pur-sang se porterait peut être mieux si les éleveurs se concentraient sur le cheval, plutôt que sur sa vente, et sur l’étalon en tant que reproducteur viable, plutôt que comme une source de profit.
Les courses et l’élevage ont toujours été perçus comme des activités haut de gamme, une frivolité associée à des chapeaux extravagants, mais je voudrais souligner que 90% du temps et des efforts consacrés à créer un cheval de courses sont ancrés dans une économie rurale et bon nombre d’entre nous passent bien plus de temps dans des bottes que sous un grand chapeau.
L’industrie des courses représente une part importante de l’économie rurale et emploie des millions de personnes à travers le monde dans des régions où l’activité agricole diminue. Elle soutient des haras et des villages, elle donne des emplois durables, tout au long de l’année, à des cavaliers, palefreniers, maréchaux-ferrants, vétérinaires, fermiers et entreprises de toutes sortes.
Comme mon père le disait, « On peut considérer le cheval dans la vie humaine – en agriculture, en temps de guerre, ou en tant que moyen d’exploration – à travers des centaines d’années. Quand on y pense, le cheval est l’un des phénomènes les plus extraordinaires que l’on ait. » Cette industrie préserve une espèce, ainsi qu’une population entière qui en prend soin.
J’ai peut-être donné l’impression que l’élevage joue un rôle central dans les activités de ma famille, mais en réalité, pour la famille Aga Khan, il s’agit d’un « métier du weekend », d’une activité périphérique. Comme beaucoup de personnes le savent, nous passons 99% de notre temps à travailler sur des projets de développement en Afrique, en Asie Centrale et du Sud, dans de nombreux secteurs d’activité, de la microfinance à la santé et l’éducation, de l’industrie agricole au développement rural, notamment ici en Inde, où nos institutions sont présentes depuis plus de cent ans. Cela signifie que les activités d’élevage et de courses doivent rentrer dans le petit créneau de temps que l’on peut consacrer aux hobbies, et nous avons la chance d’avoir une équipe de collègues très qualifiés et dévoués qui réalisent un excellent travail pour faire fonctionner « l’entreprise » au quotidien.
Cependant, je pense que ce « métier du weekend » est important, car il représente 250 ans de tradition familiale et conserve les liens avec notre histoire en Perse et en Inde. Bon nombre des familles de notre jumenterie sont avec nous depuis 1922 et sont de vieilles amies.
En 1939, mon arrière-grand-père remporta la King Emperor’s Cup à Calcutta avec Baqlava, un cheval de la famille de Shahrastani, qui est aujourd’hui toujours présente dans notre stud book. En 1942, il gagna les Eclipse Stakes d’Inde ici à Mahalakshmi avec Golden Fawn, issu de la famille de Mumtaz Mahal. Aujourd’hui, il y a 125 juments de cette même famille dans le Studbook d’Inde, et elle y a remporté plus de gains que dans tout autre pays. Deux des meilleurs étalons de première production en Inde, Arazan et Varenar, sont des chevaux qui ont été élevés et ont couru sous les couleurs Aga Khan. Vendredi dernier, Angel Dust a remporté le Derby de Bangalore – elle est issue d’une jument Aga Khan. Nous sommes fiers et honorés d’être associés aux courses et à l’élevage en Inde et à travers le monde après tant d’années et de générations, et nous avons l’intention de perpétuer cette tradition ancestrale.
Bahut shukriya